Vendredi 13 mars 2020. 2h30 du matin. Je suis tirée du sommeil par Thomas, qui tente de poser sans bruit un message sur ma table de nuit. Je sens tout de suite que quelque chose ne va pas. Il me dit « je ne voulais pas te réveiller, c’est grave mais on en parlera demain, rendors-toi ». Immédiatement complètement éveillée, je le somme de me dire ce qu’il se passe « ben dis-le moi tout de suite, je risque plus de me rendormir, là ! ».
J’ai espéré une mauvaise blague, un cauchemar, une erreur. Mais c’était vrai. Ils avaient décidé l’inimaginable.
Avec le recul, la panique que j’ai ressentie à l’annonce de deux semaines de fermeture me fait doucement sourire. Au final, nous sommes restés fermés trois mois. Et quatre mois d’ouverture plus tard, rebelote.
À la première annonce, je nous voyais déjà faire faillite. Il était impossible, dans ma tête, qu’on y survive. Et pourtant. Presque un an plus tard, nous sommes toujours là. Quand j’ai écrit, au printemps dernier, que je n’avais pas la force de me réinventer, ce n’est pas que l’état de choc qui parlait. INVENTER une entreprise, c’est déjà beaucoup de travail, de prévisions, d’investissements, de risques calculés. Ça prend du temps. Et beaucoup d’argent, selon le secteur d’activité. Alors se RÉINVENTER ? Calculer les risques, dans un contexte complètement incertain, quand la vie a tellement changé, que notre société et nos habitudes sont complètement bousculées, à mon échelle de cheffe de toute petite entreprise, me paraissait hors de portée.
Tellement hors de portée, que depuis que les restaurants ont fermés, et que nos vies ont été mises en pause, le 13 mars 2020, je vis en attendant que le monde se remette à tourner normalement. Je dirige mon entreprise à coup de « en attendant » et de « pour le moment ».
Peut-être ce sentiment n’est-il pas perceptible pour tout le monde. Mais pour les restaurateurs, métiers de contacts, artistes et métiers de l’événementiel, la vie s’est arrêtée. Nos existences, nos métiers, qui sont souvent notre passion, sont en pause. Les relations sociales et familiales sont interdites pour tout le monde, mais nous n’avons plus ni interactions sociales, ni familiales, ni professionnelles, plus rien. Le lien avec nos collègues, nos clients, et nos fournisseurs, est coupé. Nous attendons de pouvoir pratiquer la chose que l’on préfère faire au monde, et qui nous rend tellement heureux que nous avons souvent investi toute notre vie dedans. Le monde s’est arrêté de tourner pour nous, et la solitude s’additionne à l’anxiété de voir notre gagne-pain nous filer entre les doigts. D’indépendants, libre et maîtres de leurs finances et leur destin, nous en sommes à demander, supplier, justifier, pour des aides, pour de l’argent, pour survivre. Nous attendons, espérons, que la situation revienne à la normale.
Mais je réalise aujourd’hui, que la vie ne redeviendra pas « normale ». Le monde devra vivre encore longtemps avec cette crise, et nous subirons probablement ses stigmates pour encore plusieurs années. Rien que la perspective des « vagues » fait froid dans le dos. Même si nous sortons un jour de confinement, et reprenons le court de nos vies, nos habitudes et réflexes seront durablement transformés, comme le sentiment d’inconfort que l’on ressent à présent, lorsqu’on voit deux personnes se faire la bise dans un film.
Alors, comment vivre, malgré tout ? Ou mieux, comment vivre AVEC ce tout ?
La résilience est définie comme la capacité à surmonter les chocs traumatiques. Je pense que, en plus de résilience, cette crise nous oblige à la métamorphose. Et je pense que la première étape de la métamorphose est l’acceptation. Accepter que plus ne sera jamais comme avant. Accepter que nos entreprises doivent changer. Accepter que nos objectifs ne sont plus les mêmes. Accepter que le futur, que nous avions soigneusement préparé, planifié et organisé, ne sera pas.
Le futur sera, mais il sera différent. A nous de choisir ce que nous voulons en faire.
Je choisis d’accepter ce qui sera, de faire le deuil du futur que j’avais imaginé, et d’en construire un nouveau. Je prends la décision d’enfin, commencer à métamorphoser mon entreprise et son fonctionnement. Je décide de m’adapter à ce « new normal », d’essayer de rendre mon entreprise rentable autrement, et d’assurer sa pérennité au travers de la crise, pour moi, mais aussi pour tous ceux dont le travail dépend de sa survie.
Ce ne sera pas simple, mais contrairement à ma première impression, je ne repars pas de zéro. Aujourd’hui j’ai l’équipe, le lieu, une partie du matériel, et la base de clientèle fidèle, qui me permettent d’imaginer ce futur, si pas sereinement, avec beaucoup d’espoir.
Ma vie n’est pas en pause, elle est à un tournant décisif. Elle me demande si je préfère subir ou choisir.
Et à tous ceux dont le choix a été ôté, ou qui ressentent qu’ils n’ont d’autre choix que de subir, je veux transmettre toute ma bienveillance. Ma bienveillance et ma compréhension face à votre colère ou votre tristesse. Si, à défaut de pouvoir vous réinventer, vous avez besoin de crier, de hurler, de pleurer ou de frapper, je comprends. J’ai aussi beaucoup pleuré, beaucoup crié et beaucoup frappé (mentalement) cette année. Je n’ai pas toutes les solutions, mais si admettre cette vérité-là peut soulager quelqu’un, c’est déjà gagné. Ne laissez personne vous dire que vous n’avez pas le droit d’aller mal. Le bonheur et l’optimisme ne se commandent pas, et vous avez le droit de ressentir des émotions « négatives ». Chacun son rythme, ses difficultés, ses ressentis.
Chaque situation est différente, et chacun fait ce qu’il peut pour traverser notre nouvelle réalité.
Je pense que le seul principe universel, c’est que nous sommes tous et toutes différent.e.s, et qu’il faut se soutenir plutôt que d’accuser, rassurer plutôt que blâmer, et accueillir plutôt que rejeter.
C’est comme ça, que nous pouvons rendre le monde meilleur, pandémie ou pas.
A très vite, pour la suite de l'aventure, avec vous.
Sandrine
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